Mardi   8   mai   1945   à   Sétif






 
Mardi 8 mai 1945 (suite),

 

L'émeute éclate.
 
  • L'intention de montrer sa force est évidente,
    sinon pourquoi faire ces détours par le quartier européen pour rejoindre le monument aux morts
    qui n'est distant de la porte de Biskra que de quelques centaines de mètres ?
     
  • À moins que les organisateurs
    ne souhaitent provoquer des incidents devant le siège des forces britanniques situé à hauteur du lycée,
    à 200 m du Café de France dans l'avenue Clemenceau,  là où ils savent qu'un photographe est présent
    et près du QG des forces sud-africaines tout à côté ?
     
  • L'avenue Clemenceau
    large de 18 m est entièrement occupée par cette masse humaine composée essentiellement d'hommes jeunes et déterminés avec à la main comme armes des cannes,  des bâtons,  « des debous ».
     
  • De nombreuses pancartes et banderoles
    sont brandies à hauteur du lycée, au mépris des engagements pris.     On y lit :
     
      « Vive l'Algérie libre et indépendante »,
      « A bas le colonialisme »,
      « A bas la France »,
      « Libérez Messali »,
      « Nous voulons être vos égaux »,
      « Algérie est à nous ».

    D'autres pancartes sont en anglais, mais les témoins ne connaissent pas cette langue.
     
  • Devant la Banque d'Algérie,

    le drapeau de l'indépendance et du djihad apparait.
     
      • il est vert et blanc, avec un croissant et une étoile rouge, mais égalment une main surmontée d'une inscription en arabe « Allah Akbar ».
        Il aurait été confectionné par un tailleur nommé Doumi Tayeb.
        Il faut noter que les drapeaux brandis à Sétif et Guelma ne sont pas tout à fait identiques.

     
  • On entend des youyous,
    attestant la présence de femmes, ce qui est inhabituel dans ces manifestations.

    Des slogans anti-français, en arabe et en français, et le nom de Messali sont scandés par les meneurs et
    repris en cadence par la foule.


      La Banque de l'Algérie à Sétif

Sétif, la banque de l'Algerie

 
  • Les accords de la veille
    entre le commissaire Lucien Olivieri et le sous-préfet Butterlin pour les autorités
    et le Dr Smati et maître El Hadj Mostefaï pour les manifestants, étaient clairs :
     
      • la manifestation des musulmans avait pour unique but officiel
        le dépôt d'une gerbe au monument aux morts.

     
  • Le commissaire Olivieri
     
    • reçoit l'ordre du sous-préfet d'arrêter le cortège et de saisir les bannières séditieuses.
       
    • Avec l'aide de ses collègues,
       
      • le commissaire central Tort,
      • le commissaire Valère,
      • l'inspecteur Raoul Haas
      • l'inspecteur Norbert Fons,

      ils déploient un barrage avec quatre policiers armés,  alors que quatre inspecteurs en civil
      attendent dans une voiture à proximité à hauteur du carrefour de l'avenue Clemenceau et
      de la rue Saint-Augustin, devant le magasins des chaussures André.

     
  • À 9 h., le commissaire Tort
    se rend à la gendarmerie pour demander le renfort des 20 gendarmes.
    Suite à une panne de véhicule de transport, ils n'arriveront qu'après les premiers coups de feu.

     
  • À 9 h 15,
     
    • le cortège est arrêté, après le passage des scouts, par les quatre policiers.
      Les scouts s'arrêtent de leur propre initiative quelques mètres plus loin.
       
    • Le commissaire Olivieri, son collègue Valère, les inspecteurs Haas et Fons,
      sans aucune arme apparente, s'avancent vers les responsables de la manifestation.
       
    • Le commissaire Olivieri les connaît pour les avoir rencontrés à plusieurs reprises.

      Il leur rappelle leur promesse de la veille et du matin, et leur demande de faire disparaître
      les banderoles et le drapeau interdits conformément aux ordres reçus du sous-préfet.
       
    • Lorsque le commissaire Valère fait observer au sous-préfet que l'exécution de cet ordre risquait d'entraîner de la bagarre, ce dernier aurait répondu :

      « Eh bien, il y aura de la bagarre ! ».
       
    • Le commissaire Olivieri se dirige vers le porteur du drapeau et tente de le lui enlever des mains.

      il est bousculé,  jeté à terre,  mais immédiatement protégé par ses collègues,
      le petit groupe est au milieu des manifestants menaçants :
       
        • «   ektelhou,     edebhou   ». ....... «   Tuez,     égorgez   »
           
        • Les directives des responsables de la manifestation insistaient sur le fait
          qu'il fallait plutôt mourir que de laisser le drapeau tombait aux mains de l'ennemi.

     
  • À 9 h 20,
     
    • parmi les manifestants,  un des meneurs sort une arme.
       
    • Le commissaire appelle à l'aide, se défend avec sa canne et tire un coup de feu en l'air.

 
Notes :
 
  • Le commissaire Olivieri fut relevé par l'inspecteur Haas.
     
  • Les témoignages nombreux affirment les mêmes choses   :
     
    • Le premier coup de feu paraît être le fait des policiers.
        ( tiré en l'air par le commissaire Olivieri pour se dégager ).
       
    • Il ne touche personne mais cela va être le déclencheur de l'émeute.

       
  • Mohamed Harbi est plus précis   :
     
    • « Qui de la police ou des manifestants a tiré le premier ?

        Avant l'indépendance, les nationalistes imputaient les premiers tirs à la police.
        Après 1962,  des témoignages sont venus nuancer leurs affirmations  ».

      «  Saal Bouzid porteur du drapeau était protégé par plus de trente hommes choisis parmi
        les plus solides et lorsque les policiers ont voulu lui enlever son emblème, la bagarre a éclaté. »
       


Le massacre des Européens.
 
  • Immédiatement un second coup de feu éclate, tiré du cortége.
     
  • Des tirs d'armes à feu sont entendus entre les manifestants et la police,
    les policiers qui attendaient dans la voiture sortent et tirent d'abord de courtes rafales en l'air,
    puis dans les jambes des manifestants qui s'enfuient.
     
  • La première victime est :
     
    • la petite Arlette Nakache une enfant de 8 ans,
      tuée sur le coup devant le Café de France où elle passait, à ce moment là, avec ses parents.

     
  • La deuxiéme victime est :
     
    • Saal Bouzid le porte-drapeau qui est amené mourant au cabinet du Dr Smati à 300 m de là
      avant d'être transporté à l'hôpital où il décède avant toute intervention médicale.

     
  • Les manifestants se dispersent sur les injonctions de Larbi Tricinti qui annonce le djihad.
     
  • La chasse aux Européens est lancée aux cris de

    «   n'katlou ennessara   ». ....... «   Tuons les Européens   »
     
  • La folie meurtrière propre aux foules en délire entre en action.
     
    • Les armes sortent des burnous et gandouras.
      Les assaillants sont armés de bâtons, de gourdins, de lames de rasoirs, de hachoirs,
      de faucilles, de haches, de grosses pierres, d'armes à feu.
      Tout sert de projectiles, les tables des terrasses des cafés, les chaises, les carafes, les verres.
       
    • Les manifestants courent dans toutes les rues.
      Les victimes sont assassinées avec une sauvagerie indescriptible.
       
    • Des groupes se forment.
      200 manifestants tentent d'investir le commissariat central.

       
  • Les Européens tombent sous les coups des manifestants.
     
    • M. Vaillant ancien president du tribunal de Sétif est tué rue Valée.
       
    • Le maréchal des logis chef Antoine Raynal qui se porte au secours d'une femme agressée,
      est lui-même roué de coups puis poignardé. Il mourra vers midi à l'hôpital militaire.
       
    • M. Edouard Delucas, Maire de Sétif est tué devant la Compagnie Algérienne.
       
    • On relèvera parmi les Européens de la ville :
       
      • Vingt trois morts et quarante sept blessés graves, certains décèderont de leurs blessures,
        et de nombreux blessés, plus légers, qui n'ont pas été comptabilisés car soignés dans
        les cliniques privées ou par leur médecin.
         
      • On comptera quatre morts parmi les manifestants, le nombre de leurs blessés n'est pas connu.


Le calme revient sur la ville.
 
  • L'armée intervient.
     
    • Le colonel Bourdilla donne l'orde au chef de bataillon Rouire,
      de prendre le commandement du détachement d'alerte et de se rendre au plus vite vers
      le point ou éclatent les troubles, dans le centre ville.
       
    • La troupe s'y rend au pas cadencé, y arrive à 9 h 36.
      Son apparition soudaine disperse les manifestants et dégage le centre ville.

      Exécutant la mission qui lui est donnée,  le chef de détachement, sans faire usage de ses armes ,
      précédé de quatre clairons, fait évacuer les rues principales, arrête tout individu porteur d'arme,
      de bannières et poussant des cris séditieux.
       
    • A 9h 45, une troisième compagnie
      reçoit à son tour l'ordre de se rendre en ville afin d'assurer la garde de la Sous-préfecture,
      de la mairie et de l 'hôtel des postes, de surveiller et de nettoyer les rues avoisinantes.

       
  • Intervention au marché aux bestiaux.
     
    • A 11 heures,
       
      le chef de bataillon Rouire reçoit l'ordre de faire évacuer le marché aux bestiaux
      où plusieurs milliers d'indigènes sont rassemblés.

      Il dispose d'une compagnie
      avec l'ordre formel de ne faire usage des armes qu'en cas de légitime défense.

      Repoussant les manifestants à coups de crosses,   sans tirer un seul coup de feu,
      ils découvent cinq cadavres européens affreusement mutilés et méconnaissables.
       
    • A 12 heures,

      les forces de l'ordre ont repris le contrôle de la situation, les manifestants refluent par petits groupes, ils se dispersent, s'enfuient, regagnent leurs quartiers, leurs douars.

      Le calme est pratiquement rétabli.
       
      • Aucune maison n'a été incendiée,
      • aucune porte défoncée,
      • tous les assassinats ont été commis dans les rues.
      • Les européens n'ont pu se défendre, riposter;
        ils ne sont pas armés, ils se sont barricadés chez eux.

       
    • A 14 h30,

      tous les groupes sont désarmés, des armes de toutes sortes s'amoncelaient.
      Il y avait des « débous », des couteaux, quelques armes à feu.
       
    • A 15 heures,

      la compagnie, en place au carrefour des rues Sillégue et Clemenceau, reçoit l'ordre de
      se porter sur la route d' Aïn- Trick à hauteur de l'abattoir.

      Des barrages sont placés à toutes les issues principales,   ils interdisant l'accès de la ville à
      tous les étrangers.

Le Général Duval accompagné du préfet de Constantine M. Lestrade Carbonnel, arrive dans la soirée.
  • Sa présence apporte à la population meurtrie un certain réconfort, elle lui réclame des armes,
    il la dissuade de se constituer en milice, car dit-il, les renforts arrivent.
     
  • La population veille ses morts.
     
  • Ce jour là à Sétif,
     
    • il y eu au total :
       
      • 29 tués dans la population européenne     ( 5 blessés sont décédés les jours suivants )
        42 blessés graves,     le nombre de blessés légers n'est pas publié.
         
      • Celui des victimes musulmans n'a jamais était connu précisément :
        les archives de l'hopital civil de Sétif donnent le chiffre de 35 morts parmis les indigènes
        durant le mois de mai 1945, sans indiquer s'il s'agit d'indigénes fideles à la France.
         
         
  • Le couvre-feu est instauré,    il sera maintenu 48 heures.


Mercredi 9 mai 1945.
 
  • On apprend
    que l'émeute s'étend vers les villages du Nord qui bordent la Petite Kabylie.
     
  • C'est l'angoise, l'incertitide.
    Les nouvelles les plus contradictoires faisait état de nombreuses victimes.



Jeudi 10 mai 1945.
 
  • La population européenne dans un interminable cortége,  traversant les rues,  les avenues désertes,
    conduit les seins à leur dernière demeure.

    Sétif est en deuil.


      Le 10 mai, la population européenne enterre ses morts.

Sétif, la population européenne enterre ses morts,le 10 mai 1945


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