Les   journées   du   8,   9,   10 mai   1945
à   Chevreul







 


Chevreul
  • Village fondé en 1898,
    situé à 67km au nord de Sétif dans une région verdoyante, au milieu de la forêt d’Aïn-Settah.
     
  • La culture du blé, des légume et l’élevage de bovins étaient florissants.
    Le village avait une piscine municipale chose rarissime en 1945 !!!
     
  • Ce village est le siège d'une brigade de gendarmerie qui, à l'époque, comportait théoriquement
    six militaires, mais le 8 mai 1945, à la suite de coïncidences malheureuses, l'effectif se trouvait
    ramené à un maréchal des Logis chef et un gendarme.


Le 8 mai 1945,
  • La journée avait été marquée par diverses réjouissances dans cette ambiance d'optimisme bien légitime,
     
    • nul ne pouvait penser que des événements douloureux avaient semés le deuil en d'autres régions,
      ni se douter que la vague criminelle allait, quelques heures plus tard déferler sur le paisible village.
       
  • Les lignes téléphoniques n'avaient pas été détruites et fonctionnaient normalement.
     
    • La nouvelle s'était répandue, la ville de Sétif avait été le théâtre d'incidents.
    • En fin de soirée, la liaison téléphonique avec Saint-Arnaud est interrompue.
    • Malgré ces nouvelles, un bal public termina la soirée

 

Le 9 mai 1945,
 
  • A deux heures du matin,

    le Maréchal des Logis Poilane, commandant la brigade est avisé téléphoniquement par
    le receveur des poste M. Bernasconi, que quelque chose d'anormal se passe dans le village.
     
    • Des pierres sont jetées contre les demeures des Européens.
    • Des coups de feu se perçoivent dans le lointain.


    Le Maréchal des Logis
    accompagné du seul militaire présent à la caserne,   le gendarme Pérès,   organise rapidement
    une patrouille, hèle au passage trois auxilliaires indigènes, prospecte la localité jusqu'à ses issues.
    Rien de suspect ne se révélant, la patrouille rentre à la caserne.

     
  • A cinq heures,

    une nouvelle tournée de surveillance est entreprise.
     
    • La patrouille constate que le village est sans éclairage, les ampoules ont été brisées,
    • Elle découvre que la ligne téléphonique a été sabotée en plusieurs endroits.
      Il s'agit là, à n'en pas douter de mauvais présages.
       
    • Comme aucune agitation ne se perçoit dans l'agglomération,
       
      • on pousse au-delà, jusqu'à une maison cantonnière située à 800 m.
        Le chef cantonnier M. Marchal est absent.
         
    • La patrouille rentre au village en hâtant le pas, car des coups de feu sont entendus.
       
  • Le jour se lève,

    ce qui permet de voir un groupe d'une vingtaine d'indigènes armés qui s'enfuient à son approche.
    Une maison isolée vient d'être attaquée, c'est la maison de la famille Grousset :
     
    • M. Grousset Basile, agriculteur, a été tué par plusieurs coups de feu.
    • Sa femme et sa fille âgée de 16 ans,
      épouvantées, ont été abandonnées après avoir été violées par une vingtaine d’individus.
       


    Le Maréchal des Logis Poilane n'a plus d'illusions sur le caractère des événements qui se préparent.
     
    • Il est temps d'agir.
      rapidement l'ordre est donné aux Européens de se réfugier à la caserne de Gendarmerie.
       
    • Les deux militaires protégent ce repli,
      car les bandes menaçantes se présentent déjà aux lisières de la localité.
      Des hommes, des femmes, des enfants se hâtent, le visage inquiet.
       
    • Des retardataires qui ont tenu à rassembler quelques objets précieux ou quelques provisions
      essuient des coups de feu.
       
    • Les trois auxilliaires indigènes reçoivent la mission d'aller chercher le receveur des postes et
      sa famille qui s'attardent dangereusement.
      L'un deux, sur le chemin du retour, déserte et rejoint les émeutiers avec son arme et ses munitions.

Le village de Chevreul niché dans la verdure en 1949
Au nord,   le massif de Sidi-Mimoun   d'où l'on apercevait la mer.


village de Chevreul en 1949
  • Vers sept heures.

    Les événements se précipitent,
     
    • A la caserne, on n'a eu que le temps de fermer les portes, la défense s'organise rapidement.
       
      • On dispose :
        • des mousquetons des militaires absents,
        • d'un fusil mitrailleur modèle 1915
        • de six fusils Lebel de la préparation militaire
        • des munitions

        de quoi armer en tout une douzaine d'hommes.

      C'est d'ailleurs tout ce que comporte la petite garnison.


    Le Maréchal des Logis Poilane
     
    • fixe à chacun son emplacement et sa mission.
      On se barricade pour le mieux en s'aménageant des créneaux.
       
    • La consigne est donnée d'économiser les munitions dont l'approvisionnement est limité et
      donc de ne tirer qu'à coup sur.
       
    • Le nombre des émeutiers qui ont envahi le village peut s'évaluer à un millier,   mais la horde
      ne cesse de s'accroître.
       
    • Les maisons ayant été évacuées,
      la fureur de cette foule se tourne vers la caserne devenue l'objectif principal.

      Elle est soumise à un tir nourri de mousqueton.
      • Parmi les détonations des armes individuelles,
        on peut percevoir distinctement le claquement rythmé de quelques mitraillettes.
         
    • Malgré les balles qui frappent les fenêtres et font, en peu de temps voler les carreaux,
      nos défenseurs font résolument face au danger.
       
      • Leur tir ajusté
        fait des coupes sombres dans les rangs des assaillants et y jette le plus grand désarroi.
         
    • Tandis qu'après ce premier engagement la fusillade décroît,
      • à l'intérieur du réduit, il faut stimuler les énergies,
      • donner des apaisements aux femmes et aux enfants que la peur tenaille.
      • Il faut s'organiser solidement pour un siège qui peu durer.
      • On installe les non- combattants au premier étage pour plus de sûreté.
         
    • La conduite d'eau
      ayant été coupée dès les premières minutes, il faut rapidement récupérer dans des seaux,
      l'eau polluée de l'abreuvoir et réserver précieusement celle des chasses d'eau des W.C pour la boisson.
       
    • Il n'y a plus de courant électrique,
      le téléphone est coupé, l'isolement est total.
       
    • C'est dire qu'en peu de temps les événements se sont précipités.
      Il est clair que cette attaque du village au petit jour était préméditée.

       
  • Vers 10h 30,

    tandis que les émeuiièrs maintiennent autour de la caserne un cercle de feu,
     
    • On entend un bruit d'avion qui survole le village.
       
    • Les émeutiers se ressaisissent.
       
      • Sans doute ce passage de l'avion les a-t-il convaincus de la nécessité de rechercher
        une solution rapide,   leurs rangs se resserrent,   on perçoit des préparatifs qui sont
        l'indice d'une attaque qui se dessine.
         
      • Tandis que des groupes de tireurs,  embusqués sur les hauteurs qui entourent la caserne
        font pleuvoir une grêle de balles pour neutraliser les ouvertures,  une masse d'une centaine
        d'individus,  profitant de cette protection,  se rue sur la porte d'entrée  ou escaladent
        les murs de la cour.
         
      • Sous leur poussée,   la porte cède peu à peu.

        Les défenseurs du rez-de-chaussée parviennent pendant un court moment à retarder,
        par un feu meurtrier,  l'irruption du flot,  mais submergés,  ils sont contraints de se replier
        vers le premier étage.

        Dans les escaliers,
        ils contiennent encore la vague un court instant,   il faut rapidement obstruer les escaliers
        avec le mobilier,  ce à quoi tout le monde s'affaire et établir un barrage de feu afin d'interdire l'approche de cet ultime obstacle et éviter un corps à corps qui serait mortel.

         
      • Les assaillants déconcertés
         
        • par cette résistance inattendue hésitent à poursuivre leur assaut que la solide position
          des défenseurs rend meurtrier.
           
        • Ils se livrent alors au pillage du rez-de-chaussée,   détruisent les archives du bureau,
          criblent de balles les plafonds dans l'espoir d'atteindre les occupants de l'étage.
           
        • D'autres se répandent dans les communs, mettent le feu au fourrage.
          Bientôt la caserne est entourée d'un nuage opaque de fumée,   et, à la faveur de
          ce camouflage,  quelques assaillants tentent sans succès de propager l'incendie
          au reste des bâtiments.
           
        • Les défenseurs postés aux fenêtres et aux créneaux des toilettes parviennent
          par leurs tirs ajustés à desserrer progressivement la redoutable étreinte.

           
      • L'attaque a échoué,

        mais les minutes passées ont été angoissantes,     l'image de la défaite,   avec toutes
        ses conséquences,   avait plané sur la petite garnison.

        Les mémoires conserveront longtemps le spectacle de cette lutte inégale où aux bruits
        des détonations,  des vociférations des assaillants,  se mêlaient douloureusement
        aux cris des enfants.

         
    • Les émeutiers,

      laissant une partie des leurs à l'investissement de la brigade,   se répandent alors dans le village et,
      par le pillage et l'incendie, sèment la dévastation complète.
       
      • Rien n'est épargné.       Chevreul est entièrement détruit.
         
      • Seule la maison de M. Albert Montserret est épargnée, c'est le quartier général des insurgés,
        mais ils ne se privent pas, de piller, de saccager, détruisant tout le mobilier.
         
      • Vingt-cinq maisons sont détruites et incendiées,
        la horde déchaînée a même détruit la chapelle,   défonçant la porte à coups de masses,
        détériorant les prie-Dieu,   brisant les statues des Saints et du Christ,   s'acharnant sur l'Autel
        et le souillant.
         
      • Les résultats de quarante années d'un labeur patient disparaissent ainsi en quelques heures.
         
      • Les européens qui n’ont pu rejoindre la gendarmerie sont tués :
         
        • M. Bovo et M. Coste sont assassinés à quelques kms de Chevreul,
          leurs cadavres ne sont retrouvés que deux jours plus tard complètement nus,
          affreusement mutilés, émasculés, totalement méconnaissables.
           
        • Madame Coste doit avant de mourir, subir les pires outrages.


     
  • En fin d’après-midi,
     
    • un détachement militaire venu de Sétif,     ne peut franchir un barrage tenu par les insurgés
      à 2 km de Chevreul au pont de Bourredine et doit battre en retraite.

       
  • La nuit arrive

    ainsi peu à peu sans qu'aucune autre tentative sérieuse soit entreprise contre la caserne.
     
    • La lueur des incendies traduit toute l'étendue du désastre qui s'accomplit et cet acharnement
      déployé dans la destruction, ne laisse à nos défenseurs aucune illusion sur le sort qui les guette.
       
    • Malgré la perte du fusil-mitrailleur, touché par une balle qui diminue considérablement
      la capacité défensive, et tout l'avantage que les émeutiers vont tirer de l'obscurité,
       
        Ils sont fermement décidés à tenir.


    L'attente n'est pas longue.
     
    • Une fuslllade enveloppe la caserne et des infiltrations d'isolés laissent présumer un nouvel assaut.
      Mais comme la réaction des défenseurs se révèle toujours aussi vigoureuse,   les assaillants abandonnent leur tentative.     Toute la nuit se passe ainsi en des alternatives de fusillades et d'accalmies qui obligent les défenseurs à une vigilance que toutes les émotions accumulées au cours d'une longue journée rendent plus pénibles.
       
    • Chacun met toute son énergie à se raidir,    à lutter contre l'épuisement,     toute faiblesse,
      toute imprudence peut être fatale.     Il n'y a plus rien à manger,  mais personne n'y songe.
       
    • L'eau potable est distribuée au compte goutte.


Le 10 mai 1945,
 
  • vers huit heures

    après une nuit de cauchemar où les rebelles pensaient avoir épuisé la résistance des assiégés,
     
    • une nouvelle attaque en force est lancée contre le réduit.
       
    • La riposte n'est pas moins énergique que les précédentes.
      Des feux de salve précis fauchent les rebelles et les refoulent en désordre.
       
    • Une nouvelle fois l'assaut est brisé.
      On peut voir au loin, sur les flancs de la montagne, ces derniers emporter des morts et des blessés.
       
    • Les émeutiers entreprennent de faire sauter la caserne.

      D'un chantier voisin, ils ont apporté tout un approvisionnement
      • de dynamite,
      • de détonateurs,
      • de mèche lente.

      Des coups de pioches résonnent au rez-de-chaussée.
       
    • Il semble que la situation soit perdue.
      Une tentative de sortie pour contrarier ces préparatifs serait vouée à l'échec.
       
    • Les minutes passent avec une cruelle lenteur.


Soudain,   on entend au loin des crépitements de mitrailleuses.
  • Le village se vide, les bandes d'indigènes s'enfuient en désordre vers la montagne.
     
  • C'est la colonne de secours,
    commandée par le chef de bataillon Rouire qui arrive et avec elle la délivrance.
     
  • On assiste au spectacle poignant
     
    • d'un groupe d'hommes aux visages défaits et durcis,
    • de femmes échevelées et en sanglots,
    • d'enfants inconscients,

    se jetant hors de cette caserne qui avait failli être leur tombeau pour accueillir leurs libérateurs.

    Quelques uns ne peuvent se retenir de crier :     Vive la France.


Il était temps, car il ne restait plus que quelques cartouches aux défenseurs de la gendarmerie.


Malheureusement,
  • le jeune Boissonnade Louis,  18 ans,  diabétique,  qui a lutté au côté de son père,
    sera terrassé par la maladie.   Il décédera quelques heures plus tard après la libération de la caserne.


M. Marchal,  chef cantonnier du village,  sera retrouvé sain et sauf.
  • Il a été surpris par l’émeute au moment où il regagnait son domicile.
    Il est resté caché dans un champ de blé.
    La densité et la hauteur des épis à cette époque le dissimule.
     
  • Il va rester ainsi trente-six heures sans manger ni boire, exposé à la chaleur du jour comme
    au froid de la nuit,  entendant,  à quelques pas de lui,  passer les bandes d'émeutiers qui ne
    se doutent pas qu'il est là tapi,  tenaillé par l'angoisse.


Ainsi se terminait,   après une lutte de trente heures,
  • l'épisode tragique et trop peu connu de la caserne de Gendarmerie de Chevreul,
    où une poignée de Français venait de donner, à travers les pires souffrances physiques et morales,
    le plus bel exemple de vertus nationales.



Deux historiens algériens
  • dans des thèses publiées en Algérie indiquent que lors des assauts du bordj de la gendarmerie
    dans le village de Chevreul, le nombre de victimes dans le rang des indigènes a été de :
     
    • 1981     Mahfoud Kaddache          127 tués
    • 1987     Redouane Aïnad-Tabet     375 tués.


On est en droit de ce poser la question suivante :
  • Les nombreux assaillants abattus lors de ces deux journées, sont-ils comptabilisé dans :
     
    • les victimes de la répression
      ou s’agit-il d’un cas de légitime défense !!!!


  Retour sommaire 8 Mai 1945