Les Dossiers de l' Histoire Mai 1958 (suite)



Au-delà du 13 Mai 1958




Désormais,   Alger va aller de kermesse en retraite aux flambeaux ;   Jacques Soustelle prônera l'intégration ;   le général Cherrières pourra venir en Algérie sans provoquer le « clash » ; le général Massu, avec M. Sid-Cara,   « administrer » le Comité de salut public.

Mais Alger, maintenant, lorgne du côté de Paris.   C'est le jeu du chat et de la souris, car Paris lorgne du côté d'Alger.

Le 19 Mai,   Jules Moch,   au ministère de l'Intérieur,   reçoit d'inquiétantes informations.
Le C.A.N.A.C. (Comité d'Action des Anciens Combattants),   animé par l'ancien commando de France   Sanguinetti,   qui a laissé une jambe à l'ile d'Elbe,   et par   « une escouade de colonels de réserve qui en sortent délibérément »,   a décidé de répéter à Paris le coup d'Alger.
On prendra d'assaut le Palais-Bourbon.   Mais n'est-ce pas trop tôt?   La manifestation avorte assez lamentablement.


S et M. BROMBBRGER :

Cependant, ce 19 mai à 15 heures;   le monde entier a les yeux braqués sur le Palais d'Orsay.
De Gaulle doit y apporter sa réponse aux questions que se pose l' Assemblée Nationale.
Se présente-t-il en dictateur ou en sauveur de la République ?

DOMINIQUE PADO :

De Gaulle, vêtu et cravaté de gris, arrive par une petite porte et presque brutalement s'assoit.
Les flashes crépitent, les projecteurs s'allument, les caméras ronronnent.
Mauriac dit à mi-voix à son fils :   « Il a bien vieilli. »
Une journaliste américaine :   « Il a grossi. »

Ebloui par la lumière crue que l'on répand sur lui en saccades, le géneral s'efforce visiblement de garder les yeux ouverts.

  « Il y aura bientôt trois ans que j'ai eu le plaisir de vous voir...   Ce qui se passe en ce moment en Algérie,   par rapport à la métropole et dans la métropole,  par rapport à l'Algérie,   peut conduire à une crise nationale grave.     Mais ce peut être aussi le début d'une sorte de résurrection.     Voilà pourquoi le moment m'a semblé venu,   où il pourrait m'être possible d'être utile,   encore une fois,   directement à la France. »

Les micros déversent sur la France entière et jusqu'en Amérique,

  « Utile... parce que je suis un homme seul,   un homme qui n'appartient à personne et qui appartient à tout le monde.
  « Utile... comment ?   Eh bien,   si le peuple le veut,   comme dans la précédente   crise nationale,   à la tête du gouvernement de la République Fançaise. »


Le préambule terminé, le général accepte qu'on lui pose des questions.
Il y en aura six et elles lui permettront des ripostes tranchantes.
La voix, tout à l'heure hésitante et mince, est revenue.
L'interviewé est plus à l'aise que le conférencier.

Robert Lacoste est son « ami », pour Guy Mollet il a beaucoup d'estime :
« Il a cela ne me gêne pas de le dire,   il a été un combattant pour la France et pour la liberté,   il a été un de mes compagnons,   ce sont des choses que l'on n'oublie jamais. »

- Quelle serait votre attitude à l'égard des libertés publiques fondamentales?

« Ai-je jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ?   Je les ai rétablies, pourquoi voudriez-vous qu'à soixante-sept ans ,  je commence une carrière de dictateur ?   J'ai cru utile au pays de dire ce que j'ai dit, maintenant je vais rentrer dans mon village et je m'y tiendrai à la disposition du pays.»


L'impression générale est favorable.
Désormais, les parlementaires vont aller à lui, par petits groupes, doucement, très doucement, tout d'abord.   Un instant, la course sera stoppée par la petite aventure « mexicaine » de la Corse méditée par Pascal Arrighi et agréée par le générai Salan, afin de rappeler discrètement à Paris qu'il faut en finir.


JULES MOCH :

L'aventure corse était un avertissement.     Il y avait des parachutistes dans quatre villes de notre Sud-Ouest qu'enfièvraient les exploits de leurs camarades d'Algérie et de Corse.     Il y avait ailleurs des soldats de carrière, marocains et tunisiens, dont l'engagement avait survécu à l'accession de leurs pays à l'indépendance et qui eussent aveuglément suivi les ordres de leurs officiers.     Il y avait aussi des recrues algériennes inutilisables en Afrique du Nord, et quelques unités de militaires de carrière dont il y avait lien de redouter les incartades.

D'où des ordres nouveaux aux préfets.     Tous les aérodromes ne pouvant être gardés, il a fallu en fermer matériellement un très grand nombre, tant dans la région parisienne que dans le Sud-Ouest, en barrant leurs pistes avec des obstacles massifs et des réseaux de barbelés, tandis que ceux maintenus ouverts au trafic étaient gardés par des C.R.S. prélevés sur le dispositif général...

Telle était la situation     - combien angoissante -     en cette fin de mois.
Mais elle était plus redoutable encore.
Les officiers de France et beaucoup desoldats de carrière étaient de cœur avec les forces d'Algérie.
Les forces de police     - j'ai eu la douleur et l'humiliation de le constater -    n'étaient pas toutes moralement en état d'assurer une résistance suffisante.     Inutile, ici encore, de donner des précisions dès maintenant.

Les travailleurs étaient profondément divisés.   La grève de la C.G.T. avait échoué et tout mouvement risquait, en raison du rapport des forces, de tourner au profit du communisme. Enfin, chacun ressentait le tragique, l'odieux, d'une lutte fratricide dont, au surplus, l'issue n'était pas douteuse.

Les choses étant ce que j'ai dit, le dilemme se résumait ainsi :
ou de Gaulle ou une guerre civile n'aboutissant pas à la victoire du régime.


C'est avec infiniment d'honneur et de dignité que les gouvernants vont maintenant mettre la clef sous la porte.

Le parti communiste, dès le dimanche 25 mai, fait appel à la grève générale, solution qui, de tous temps, a paralysé les gouvernements que les grévistes étaient censés appuyer.

Pierre Pflimlin ne veut pas de ces armes :   « Il n'appartient pas aux communistes,   a-t-il dit dès le début de l'affaire,   de sauver la République. »

L'opinion publique jusque-là atone souhaite en finir... et les députés aussi,   lorsque des amis charitables viennent égrener à leurs oreiles un ou deux détails du plan   « Résurrection »   que, disent-ils, les activistes seraient prêts à réaliser :


J.-R. TOURNOUX :

« L'ordre d'opération du plan « Résurrection » débute par un curieux préambule qui fixe l'objectif: obtenir « la mise en place d'un gouvernement républicain de Salut public sous la présidence du général de Gaulle ».
Le général Miquel prendra le commandement de l'ensemble.
Les avions seront mis en place par le général de Rancourt, commandant le groupement mixte de transports aériens.
Le général Coche, inspecteur général du train, sera chargé du transport des troupes débarquées.
Effectif :   deux régiments parachutistes du Sud-Ouest, deux régiments parachutistes d'Algérie sous les ordres de Massu, groupement blindé Gribius, bataillon de Joinville, bataillon d'infanterie de Courbevoie, compagnies lie C.R.S., gendarmeries, garde républicaine.
Mission du colonel Gribius : mettre les chars en position pour protéger l'atterrissage des avions.
A l'arrivée du général Salan, un défilé sera organisé sur les Champs-Elysées.
Le commandant en chef ira s'incliner sur la tombe du Soldat Inconnu.


Mais ce plan, le général de Gaulle n'en veut pas, pas plus que M. René Coty.
Jusqu'ici,   le pouvoir légal   - de Paris -   et le pouvoir moral   - de Colombey -  n'ont eu aucun rapport direct.
La situation s'aggrave chaque jour.   Va-t-on vers le coup de force, vers la guerre civile ?
Soudain, le général de Gaulle fait proposer à M. Pftimlin de le rencontrer.



Le général de Gaulle à Paris
sortant de l' Hotel Lapérouse dans le XVI.


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