La   Bataille   de   Bab-El-Oued   le    23   Mars   1962

Récit d’un participant.



 


Quelques jours avant le 19 Mars 1962,
 
  • On sentait qu’il allait se passer quelque chose.
     
    • Les habitants de BEO et d’Alger étaient tendus.
      L’atmosphère du moment,
      ne reflétait pas l’ambiance bien connue joyeuse et bon enfant du quartier.
       
    • Des tracts étaient distribués demandant aux familles de faire des provisions.
       
    • Des drapeaux noirs au sigle de l’OAS fleurissaient de partout.
      Les gendarmes essayaient bien de les prendre, mais impossible,
      les gens les tendaient entre deux bâtiments, et les drapeaux pouvaient être facilement tirés d’un côté ou de l’autre.
      Bref c’était le jeu du chat et de la souris.

Mon quartier
  • allait de la rue de Dijon jusqu’au Boulevard de Champagne.
     
  • Il était divisé en secteur.
    Il y avait un chef de quartier et un responsable par bâtiment.


En Février 1962,
  • les enlèvements de Français ont commencé.
    Le bruit courait que le sang était prélevé sur les disparus pour soigner les gens du FLN.

Le 20 Mars,
  • le chef de quartier nous transmit le nom et l'adresse d’un médecin.
    Nous devions nous faire délivrer un certificat de complaisance (arrêt de travail) pour ceux qui avaient un emploi afin de ne pas perdre le salaire.
     
  • Le soir nous entendions des youyous au loin,
    tout laissait croire que les arabes allaient descendre
    • du Climat de France,
    • de Notre Dame d’Afrique,
    • ou d’ El-Kettar.
       
  • On décide
     
    • de faire des cocktails molotov (une centaine pour notre bâtiment)
    • de mettre des guetteurs sur les toits.
    • Aux Messageries, il y avait un guetteur avec un clairon.
       
    • Chaque soir,
       
      Nous barricadions la porte principale de l’immeuble.
      Nous postions un guetteur qui était relevé toutes les trois heures.
      L’attente commençait, nous étions angoissés,
      peu de gens arrivaient à dormir et discutaient sur les paliers des étages.
       

Le 21 Mars,
  • Le chef du quartier,
    nous emmenait à une station service où nous devions prendre plusieurs barils
    d’huile de vidange, on les a répartis entre plusieurs immeubles.
    Heureusement nous avions une carriole, nous avions du faire trois voyages.

Le 22 Mars,
  • nous recevions des clous, et enfin on nous révéla le pourquoi.
     
  • Vers 22h30, les gars du quartier se sont réunis.
    Par groupe,
     
    • On transporte les fûts vers le boulevard de Champagne,
      à hauteur de la scierie, on déverse l’huile et les clous sur la chaussée.
       
    • Nous sommes pris sous le feu sporadique d’une mitraillette.
      On réussit à entrer dans la scierie, nous n’avions pas d’armes.
      Après un long moment, nous sortons en rasant les murs.
      Il n’y a pas eu de blessé.
      Retour à la maison, les gens sont apeurés, et ma mère est évanouie.

Le 23 Mars,,
  • Au matin plusieurs patrouilles militaires sont désarmées par l’OAS,
    jusqu’à l’incident de la place Desaix.
     
  • L’après-midi notre groupe a rendez-vous avec d’autres groupes
    • pour faire diversion,
    • et recevoir des armes.
    • Nous ne sommes jamais arrivés à ce rendez-vous
       
  • Arrivé rue du Dey,
    • une patrouille de zouaves qui était à hauteur de la cour des miracles nous tire dessus.
    • Nous détalons aussitôt,
      le fils de la concierge qui était devant moi prend une balle dans l’épaule.
      La balle n’est pas passée loin de ma tête.
      Nous voilà coincés dans une impasse rue du Dey, pas loin de la rue de Dijon.
       
    • Heureusement deux gars armés de mitraillettes arrivent et nous couvrent.
      Nous pouvons traverser la rue et repartir chez nous pour soigner le blessé.
       
  • Nous empruntons la rue Lavoisier,
    • de nouveau nous sommes pris pour cible.
    • En courant en zigzag et en nous abritant dans les entrées d’immeubles,
      nous arrivons tant bien que mal au 9 rue Riégo la peur au ventre.
       
    • Un copain de classe (militaire en permission), nous aide et nous couvre avec son PM.
      Là, la mère d’un ami étant infirmière soigne le blessé qui s’en tire bien.
      La porte de l’immeuble fermée, nous allons sur la terrasse.
       
    • On peut voir des gens armés sur des toits.
      Un avion style T6 tournoye sur les Messageries,
      fait un piqué, et mitraille Bab-El-Oued.
       
    • La bataille fait rage
      On entend des coups de feu de toute part.
       
    • Encore une nuit sans dormir.
      Le couvre-feu est instauré.

Le 24 Mars,,
  • Seules les femmes peuvent sortir de 8 à 9 heures le matin pour faire leurs courses.
  • Les accrochages continuent.
  • L’après midi nous bravons le couvre feu.
    • Les gendarmes ne sont pas partout.
    • Un corbillard arrive dans le quartier, dans le cercueil, du pain remplace le mort.
      Il est distribué aux familles, cadeaux des boulangers de Saint Eugène.
       
  • Le chef de quartier
    • nous informe que nous devons nous rendre à l’église Sainte Thérèse,
      Avec beaucoup de précaution nous arrivons à l'église.
      Le curé nous attend, une camionnette bâchée s’arrête.
      Sous la bâche, des cercueils en bois brut, non peints et vides.
      Sans se parler, nous avions compris.
      Nous les déchargeons et les entreposons dans une salle située au sous-sol de l’église.
      La camionnette effectuera deux voyages pour transporter les 25 cercueils.
       
  • Des le lendemain,
    • les rafles des gendarmes commencent dans notre quartier.
    • La mairie recherchait des volontaires pour être éboueurs dans le but
      d’éviter que certains jeunes soient pris au piège.
      Grâce à un chauffeur, on réussit à cacher une femme enceinte dans le camion
      et à passer tous les barrages.
      Quelques jeunes ont pu fuir.

Le 26 Mars,,
  • Des informations sur la fusillade de la rue d’Isly, nous parviennent.
    Nous sommes effondrés.
     
  • J’apprends qu’une collègue de travail a été tuée :
    Renée Ferrandis travaillait avec moi à la grande Poste, au central télégraphique,
    elle avait 23 ans.
     
  • J’apprends également que
    André Serralta, un camarade de classe de l’école des frères Lavigerie,
    a été tué dans la bataille de B.E.O.
    Il avait 19 ans.


Epilogue.

La vie continue.
  • Courant Avril 1962,
     
    • j’ai reçu la convocation pour mon incorporation dans l’armée française.
      Nous nous sommes retrouvés 250 jeunes au bastion 15 sur le port d’Alger.
      Nous avons tiré à pile ou face pour savoir si on allait à l’armée
      ou si on rejoignait le maquis !
       
  • Et ce fut l’adieu à Alger et à l’ Algerie Française     le 5 Mai 1962.
     
  • Je n’y suis jamais retourné.


Il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas à ce qu’on dit !
 
  • Je travaillais dans une usine chimique et j’ai fait la connaissance d’un mécano.
    Au fil des ans, nous discutions souvent, et fatalement, un beau jour,
    le sujet de notre conversation fut l’Algérie.
     
  • Et là j’apprends qu’il était chauffeur d’ambulance à l’hôpital Maillot.
     
    • Pendant la bataille de Bab-El-Oued,
      Arrivant de avenue Malakoff, il n’a pas pu remonter le Boulevard de Champagne pour se rendre à l’hôpital Maillot.
      Il a failli y perdre la vie.
       
    • Je lui ai avoué
      que c’était la bande de notre quartier et
      moi même qui avions versé l’huile et les clous !!!
       
    • Sans rancune et sans haine,
      nous en plaisantons encore.

      Nous sommes restés amis.



Bab-El-Oued panse ses plaies le 29 mars 1962.

Bab-El-Oued pense ses plaies le 23 mars 1962

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