Le village de Bou-Haroun.
L'exode du 5 Juin 1962
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Le vent de l’histoire pousse les pêcheurs hors d’Algérie.
Pour sauver leur outil de travail, ils ont traversé la Méditerranée à
bord de leur chalutier.
- Dans un mouvement d’ensemble,
l’épaule collée contre la coque, des pêcheurs poussent deux bateaux à la mer.
De l’eau, du fuel, des filets, des pièces de rechange et quelques
valises de linge ont été chargés à bord.
- Ce 5 juin 1962,
le Saint-Joseph et le Saint-Antoine vont quitter la plage de Bou-Haroun.
Des quatorze petits chalutiers qu’abrite ce village situé à l’ouest d’Alger,
- ils sont les premiers à tenter la traversée de la Méditerranée.
- Du haut de la falaise, les habitants les regardent sortir de l’anse, puis s’éloigner.
- Habitués à la pêche côtière,
- les deux patrons et leur équipage ne possèdent ni carte, ni
instrument de navigation.
- Ils mettent cap au nord, se repèrent le
jour au soleil, la nuit aux étoiles.
Mais les courants les font
dériver.
- Croyant arriver à Palma de Majorque, ils accostent à Ibiza,
reprennent la route jusqu’à Barcelone, s’y ravitaillent et
repartent.
- Une tempête se lève,
- les lames menacent les bateaux.
- Les pêcheurs perdent le nord, tournent en rond, se croient
définitivement perdus.
Ils réussiront enfin à rallier
Port-la-Nouvelle.
Comme ces pêcheurs de Bou-Haroun,
- beaucoup d’autres partent à bord de leur bateau,
entreprennent ce périlleux voyage de deux à six jours,
unique moyen de sauver leur outil de travail.
Cet été 1962,
- les quais des dix-huit ports d’Algérie se vident peu à peu.
- En juillet à Alger,
le môle Jérôme Tarting est fermé, tous les chalutiers l’ont déserté.
- Profitant de la présence des blindés de l’armée qui
bloquent les accès de la ville de Cherchell,
Paul di Maïo,
- conseiller municipal,
- président du football club et patron-pêcheur.
embarque famille et clandestins, dix-sept personnes en tout, sur son
Nadal II,
un chalutier de plus de vingt mètres.
« On a détaché les
amarres en vitesse, et on est parti ».
Une traversée décidée dans l’urgence :
- « La vie était devenue trop dangereuse :
enlèvements , attentats, réglements de comptes.
Pourtant, deux ou trois jours avant, on ne voulait pas croire au départ » , se souvient-il.
Rien à bord,
- pas même une provision d’eau.
- Après vingt-quatre heures d’une navigation difficile,
- à la boussole,
- sur une mer déchaînée,
- le bateau prenait l’eau de toutes parts,
- on écopait sans cesse avec des bidons,
- les couchettes étaient noyées,
le Nadal II mouille enfin à Palma de Majorque.
- Il y reste coincé trois jours à cause du mauvais temps.
Des habitants prennent pitié de ces rescapés venus d’Algérie et leur offrent galettes et café.
- Paul di Maïo reprend enfin sa route,
longe les côtes, passe Port-Vendres et continue vers Sète, sa destination.
A l’arrivée,
- le commandant du port, étonné par l’exploit
maritime, lui déclare :
« Vous êtes comme les pigeons voyageurs, vous trouvez toujours votre route ».
Mais cette grande famille de pêcheurs
- d’origine italienne installée à Cherchell depuis 1852 n’est
pas au bout de ses peines.
- A Sète, l’accueil n’est pas des plus chaleureux :
- les prix des locations flambent,
- leurs cadres arrivés à Marseille ont été volontaire trempés dans l’eau par les dockers de la CGT,
- la vaisselle et l’argenterie ont disparu des cantines.
- Et surtout les pêcheurs du cru voient d’un mauvais oeil ces nouveaux arrivants, avec leur chalutier au moteur puissant, qui n’hésitent pas à aller pêcher dans
les grands fonds.
« Ils nous barraient l’entrée du port, jetaient notre pêche à la mer »,
raconte Jean-Paul di Maïo, le fils, aujourd’hui patron-pêcheur et mareyeur.
Quarante cinq ans plus tard, ils sont toujours à Sète.
Mais à Cherchell, on parle encore d’eux :
- là-bas, une bonne pêche s’appelle une " di Maïo ".
Anne-Marie Schaller