Les Dossiers de l' Histoire
Le 13 Mai 1958

(L' Historia pour tous Mai 1960)


Textes réunis sous la direction de : Jean-François Chiappe.






  AU SOMMAIRE :

  des textes et témoignages de :
  ( par ordre alphabétique )



  M. Baret, Igame d'Alger
  S. et M. Bromberger (les 13 complots du 13 mai, Fayard)
  Jacques Fauvet (La IVe République, Fayard)
  Général de Gaulle
  Robert Martel
  Jules Moch
  Guy Mollet
  Dominique Pado (le 13 mai, Ed. de Pari8)
  Pierre Pllimlin
  Général Salan
  Alain de Sérigny (le 13 mai, Plon).
  J.R. Tournoux (Secrets d'Etat, Plon)
  X ., (L'Agonie du Système)


Au vingt-septième jour d'une crise ministérielle, Alger explose,..
Des étudiants, des boutiquiers, quelques émissaires des partis métropolitains, des chefs locaux s'emparent du Palais du Gouvernement général...

La IV République ACCOMPLIT SON ULTIME PERIODE :     vingt-et-un jours.
Cette étrange Révolution a fait un bléssé et une morte ..... MARIANNE IV.

Un dossier déjà terriblement épais.
Un dossier parfois contradictoire.
Un dossier où il faut puiser les pièces avec infiniment de précautions.
La première de ces pièces est un télégramme.    « très secret »,
Il est cité par J.-R. Tournoux dans son extraordinaire ouvrage :   Secrets d'Etat (Plon).
Il fut adressé au gouvernement, dans la semaine qui précéda le 13 mai 1958 par :
M. Baret   Igame d'  Alger.

  Objet: Situation politique à Alger. Stop.

Vous rends compte opinion publique algéroise alertée depuis plusieurs semaines par incertitude sur orientation politique du Parlement, situe constitution ministère président Pflimlin dans perspectives défavorables au maintien souveraineté française en Algérie.   Stop.

Opinion algéroise hypersensible s'est émue des intentions Président désigné quant à d'éventuelles négociations ne retenant que ce terme et négligeant l'évocation d'une indispensable situation de force.   Stop.

Population rejette par ailleurs idée d'associer à ces négociations le Maroc et surtout la Tunisie considérée en état de fait de belligérance.   Stop.

Dans ce climat, observateurs notent une indiscutable effervescence susceptible se traduire dans les faits par des démonstrations de masse.   Stop.

Première manifestation annoncée pour mardi 15 heures à Alger et prolongée à 18 heures par des cérémonies à la mémoire des trois soldats assassinés par F.L.N. en Tunisie.  Stop.

Cérémonies identiques sont simultanément prévues dans toutes agglomérations du département.   Stop.

Mouvement conduit et animé par Comité vigilance qui groupe toutes associations anciens combattants et partis politiques nationaux ci-après :   U.F.F.,   centre national indépendants,   républicains sociaux,   radicaux socialistes.   Stop.

Ce Comité a lancé appel à population en publiant d'autre part texte des télégrammes adressés président de la République et président désigné.   Stop.

Evolution situation suivie avec grande attention fera l'objet nouvelle communication télégraphique en cours journée.   Fin.


Mais à l'heure où la IVe République va vivre la dernière de ses nuits paisibles,    personne ne croit au « clash »    (mot nouveau mis à la mode chez les gaullistes de Paris, mais toujours prononcé en évoquant des temps lointains).

Paris s'endort... René Pleven rêve encore de faire accepter sa « charte »,    de l'Algérie pour composer un ministère d'union que le Président Coty définit en ces termes :
« Un gouvernement d'Union Nationale, c'est un gouvernement d'impuissance, c'est une piqûre qui soulage l'opinion pendant quelques semaines » .

L'opinion métropolitaine est d'une totale passivité.
Le rédacteur anonyme de « L'Agonie du Système » (juillet 1958 - Revue « C'est-à-dire »)
trace un tableau très exact des préoccupations de l'heure :

« Ce mardi-là, les Parisiens, indifférents comme à l'accoutumée, jetèrent un coup d'œil sur leur journal.   Depuis longtemps la presse politique n'intéressait plus qu'une minorité...
Le nouveau rapprochement intervenu entre la princesse Margaret d'Angleterre et son éternel prétendant, le colonel Townsend, faisait fondre le cœur des vendeuses   de « Prisunic »,...
Seule, la persistante pénurie de pommes de terre donnait quelques inquiétudes aux mères de famille. »


C'était le 27 jour de la crise et, dans certains milieux nationaux, on commençait de trouver anormal, en pleine guerre d'Algérie, cette vacance prolongée du pouvoir.

Vers 17 heures, les organisations d'Anciens Combattants, grosses d'environ 15.000 personnes, tentèrent en vain de se regrouper devant le Palais-Bourbon où le républicain populaire Pierre Pflimlin sollicitait sans espoir l'investiture des députés...

Il est plus de 22 heures lorsque des chuchotements insolites courent sur tous les bancs.
Soudain, le communiste Waldeck-Rochet se dresse:
  « A Alger, le général Massu... »,
   Henri Dorgères coupe :    « ... a sauvé la France. »

Le tumulte commence et, tandis que le président pressenti proteste de ses bonnes intentions algériennes, le centre (socialistes et radicaux) se prépare à voter l'investiture.

Que s'est-il passé en Algérie?
Bien des choses en somme... et d'abord la prise pacifique du Gouvernement Général que conte d'abord le directeur de L'Echo d'Alger, Alain de Sérigny, rentré le matin même dans la capitale de sa province.
Les boutiques sont closes, les tramways en grève... les cocardes tricolores fleurissent sur les chapeaux des passants.


ALAIN DE SÉRlGNY :

A 15 h. 35,  venant de la rue Hoche,  remontant le boulevard Victor-Hugo pour déboucher rue Michelet, des milliers de très jeunes gens mêlés à leurs professeurs suivent une banderole sur laquelle on lit:     « Algérie Française envers et contre tous. »
C'est le cortège des collèges et lycées.

De la rue Drouillet,   la rue Michelet offre la perspective d'un fleuve humain, coloré,   d'où émergent drapeaux et banderoles.
A partir de la place Foch, il est à peu près impossible d'avancer...

Il est maintenant 16 heures et les jardins en gradins du Monument aux Morts sont couverts de monde ainsi que les escaliers qui l'encadrent...

A 16 h. 10, des jeunes gens sortent du jardin entourant le monument, traversent la rue Berthezène et vont s'asseoir sur les escaliers du Forum. Peu à peu, ils s'agglomèrent et gagnent le deuxième palier de l'èscalier monumental.

Sur l'esplanade, devant l'entrée du Ministère de l'Algérie, quinze autocars et cinq jeeps de C.R.S. sont rassemblés...Un détachement de C.R.S. casqués et l'arme au pied prend alors position sur le haut des marches...

C'est maintenant une véritable mer humaine qui se rassemble sur le plateau des Glières, s'agrège avenue Pasteur, déborde sur la rue d'Isly. Il est à peu près impossible de chiffrer les Algérois qui manifestent.

  Peut-être plus de 100.000.

  100.000 :
  le chiffre est confirmé par le général d'armée Raoul Salan, commandant supérieur interarmées et commandant de la 10. région militaire, dans ce rapport qui porte une date éloquente et bien précieuse pour les historiens:    14 mai 1958.

GÉNÉRAL SALAN :

La grève décidée par les organisations d'anciens combattants était absolument générale dès 13 heures, comme il avait été prévu.
A partir de 14 heures, des dizaines de milliers d'hommes et de femmes se dirigeaient à pied vers le square Laferrière.
Vers 17 heures,   100.000 personnes   environ étaient massées dans les jardins montant au Monument aux Morts, sur le square Laferrière et dans les rues avoisinantes.
La foule, qui comptait plusieurs milliers de Français de souche nord-africaine, était calme.
Elle obéissait ponctuellement aux instructions qui lui étaient données par les véhicules «haut-parleurs » des organisateurs.

ALAIN DE SÉRlGNY :

Encore une fois, un micro lance:
  « L'Algérie, est-ce que vous l'abandonnerez ? »
Un crit jaillit de 100.000 poitrines:
  « Non! nous la défendrons jusqu'au bout !..... »

Il est 17 h. 55. La confusion est indescriptible. La foule hurle :   « L'armée au Pouvoir. »
Au même instant, des effluves de gaz lacrymogènes parviennent jusqu'au bas de l'avenue et tout le monde de pleurer à chaudes larmes.

GÉNÉRAL SALAN :

A 18 heures, je me rendais au Monument aux Morts.
J'y étais accueilli par une vibrante   « Marseillaise » , chantée en chœur par la foule.
La cérémonie prévue pour commémorer le souvenir des trois prisonniers assassinés
en Tunisie par le FLN se déroula dans le plus grand ordre et dans une discipline absolue.
Vers 18 h. 30, la foule se disloquait sans incident.


13 Mai   18 heures , Salan et Massu
au monument aux Morts d' Alger.


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