Les Dossiers de l' Histoire Mai 1958 (suite)



ALAIN DE SÉRlGNY :

Les premiers incidents vont éclater vers 18h. 15,   au moment même où le général Salan et le cortège officiel descendent du Monument aux Morts pour rejoindre à pied l'Etat-Major de la région sous les acclamations de la foule.

Un cri soudain jaillit de la multitude,   bientôt repris par un haut-parleur:

  -  « Les C.R.S, nous ont provoqués sans aucune violence de notre part.
  -    Tous au Gouvernement Général,   Nous les rejoindrons là-haut. »


De ce premier accrochage qui paraissait, somme toute, bénin entre C.R.S. et manifestants allait découler une succession de grandes violences.
Que s'était-il passé exactement à l'origine ?...
  Il semble que de jeunes manifestants aient voulu « marcher » sur le Gouvernement Général.

Pour M. de Sérigny, Il s'agirait dont d'une sorte de manifestation spontanée.

Pourtant, cette   «colère algéroise»    qui a permis de forcer le symbolique G.G. vide de ministres, a été organisée. ....Comment ?    C'est là le secret du 13 mai, sur lequel il est possible maintenant de faire objectivement la lumière.
Ici doit se placer l'étonnant témoignage de Robert Martel qui, avec ses seuls amis,
« les a-gaullistes »,   Pierre Lagaillarde,   le docteur Lefebvre et    Joseph Orthiz auront déclenché la marche pacifique pour prévenir le putsch militaire préparé de longue main par   l'agent du ministre de la Défense Nationale Chaban-Delmas :   Léon Delbecque.


J.-R. Tournoux a livré, dans Secret d'Etat, le compte-rendu de :

ROBERT MARTEL :

J'allai à l'A.G. où se trouvaient Lagaillarde, Lefebvre, Orthiz, Kerdavid, lieutenant des U. T.B. (Unités Territoriale Blindées).
Nous primes la décision formelle d'attaquer le G.G. à 18 heures précises, après la venue du général Salan et de son état-major, si ce dernier ne proclamait pas l'état de siège.
On devait m'envoyer quatre chars : deux au bas du Monument aux Morte, deux en haut près du G,G.
A 14 heures, nous nous retrouvions à l'A.G. avec Crespin, Orthiz, mais pas Lefebvre.

Durand, sur mon ordre, apportait le drapeau de l'U.F.N.A. sur lequel était marqué
    « Honneur, Volonté, Patrie ».   J'avais toujours dit aux membres de l'U.F.N.A. :
« Le jour où vous verrez ce drapeau dans une manifestation,    ce sera le jour J,   car je ne pourrai peut être pas vous prévenir à l'avance. »

Dans le jardin de l'A.G., tous les chefs de groupe sans exception vinrent aux ordres.
Je leur ai dit :   « Suivez mon drapeau où qu'il aille et jusqu'au bout.»


Pendant ce temps, Lagaillarde, très en forme, escaladait le Monument aux Morts et haranguait la foule, lui faisant preter le serment d'aller jusqu'au bout.
A 17 h. 30, ne voyant pas venir les chars, sans nouvelles du général X..
je vis arriver Simian, équipe Delbecque, qui me demanda ce que j'allais faire :

« Nous attaquons le G.G. à 18 heures. Va prévenir le Comité de vigilance. »
J'ai su par la suite que Delbecque lui aurait répondu : « Laisse-les faire, ils en ressortiront. »

A 18 heures, le général Salan arrive dans une melée épouvantable, fait observer une minute de silence, dépose une gerbe et repart avec tout son état-major, très ému.

A ce moment, je regarde Lagaillarde, et ensemble nous allons vers les marches d'escaliers qui conduisent au G.G. et pendant qu'avec ses bras il rameutait la foule, j'agitais le drapeau de l'U.F.N.A. pour rassembler les groupes. Puis Lagaillarde donna l'ordre d'assaut et une mêlée innombrable s'ensuivit.

   C'était l'instant historique de la prise du G.G.

Une minute après son départ foudroyant vers le G.G., Lagaillarde apparut au balcon et les bras étendus, appelait la foule à pénétrer. Ce rush final entraina la foule dans une envolée frénétique...

Les dossiers mis à sac.. Les militaires très entourés.   Un de mes amis, face au général Salan, lui cria:
   « Prenez le pouvoir, nous voulons l'armée au pouvoir! ».

Puis je m'assis sur une table au premier étage et réfléchis : j'ordonnai à mes équipes d'occuper les lieux et de ne pas sortir. Ainsi nous paralyserons l'appareil administratif du pays, et l'Armée sera obligée de trouver la solution :

Et maintenant, qu'allons-nous faire?      Et les grands chefs ...

Tournoux, voyant mon embarras, me prit par le bras et me conduisit dans le bureau central où se trouvaient Lagaillarde et toute une équipe de civils et de militaires très agités. Le désordre qui régnait là est difficilement descriptible, tout le monde parlait et gesticulait, Massu était très entouré et même bousculé :   personne ne savait quoi faire.

  Massu :
  -   un nom vient ici de surgir.
  -   Un nom appelé à devenir brusquement célebre.
  -  Qui est Massu ?     D'où vient-il ?
  -  Trois étapes ont marqué la carrière de ce général parachutiste:
    -  Koufra         (où Leclerc fit prêter un serment devenu célebre)
    -  Strasbourg    (où l'offensive du même Leclerc eut une portée psychologique sur
   -                       les populations qui virent là un rappel de la première guerre mondiale)
    -   Suez           où Jacques Massu conduisit ses hommes avec une fougue raisonnée.
    -  Chargé de la sécurité du grand Alger,    le jeune général est parvenu à nettoyer la casbah,
    -                     jusque-là redoutable foyer de terrorisme.


Cette carrière, le physique « cyranesque » de cet officier général catholique, mais démocrate, ont suffi à le rendre populaire auprès des Algérois qui, tout à l'heure, au Monument aux Morts, ont crié :

« Vive Massu »   pour ne pas avoir à clamer   « A bas Salan!».

Après la cérémonie,   Massu est allé rejoindre son P.C. à Hydra mais, à la nouvelle de la prise du G.G., il est accouru...

Empruntant le tunnel-abri qui relie l'hôtel de la X. Région au Palais du Gouvernement,   il s'est précipité dans la place pour... chasser les émeutiers:   « Nettoyez-moi ce bordel! ».

Peine perdue... Nul n'obéit à une telle injonction.



Nettoyez-moi ce bordel..... ».


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