Algéroisement......vôtre
Le départ du transat (suite).
Parfois,
- des personnalités ou des vedettes,
accompagnées d’une foule d’amis et d’admirateurs, avec bouquets et petits chiens.
Il y eut ainsi Mistinguette et Joséphine Baker, c’est aussi l’occasion de rappeler que Charlie Chaplin
avait provoqué de véritables embouteillages devant son hôtel.
- Ces passagers de luxe
avaient un peu le regard condescendant pour ces badauds qui les contemplaient à quelques mètres.
Et nous, nous étions admiratifs. nous n’avions pas encore appris à déceler le dédain.
- Notre regard courait des chaloupes de sauvetage recouvertes de leurs bâches et suspendues à leurs poulies
aux confortables chaises longues – qu’on appelait d’ailleurs des
« transats » et on s’essayait à prononcer
la traduction anglaise de la mise en garde contre toute approche des hélices :
« beware of propellers ».
Mais nous n’avions pas encore appris l’anglais et, bien entendu, pour nous, cela se lisait :
« beuvare offe propailairs ».
- Tandis que s’échelonnait
l’arrivée des passagers qui gravissaient la passerelle, les manœuvres d’appareillage se poursuivaient.
- Les dernières opérations de chargement dans les cales avant et arrière s’effectuaient à l’aide de palans
ou de grues, et, parfois, on voyait un mulet ou un cheval pendu par des sangles passées sous la panse, qui s’élevait,
penaud, dans les airs avant de disparaître dans l’ouverture carrée, plongeant dans l’intérieur du navire.
- On commençait à larguer les amarres,
surtout si la mer était calme, par gros temps cette opération était retardée jusqu’à la dernière minute.
Les dockers et les marins qui se tenaient aux cabestans
échangeaient des cris qui avaient trait à la manœuvre et qui se répercutaient dans le vent.
Enfin l’heure du départ était proche,
- les derniers passagers montés à bord et les derniers visiteurs descendus, on procédait au retrait des passerelles.
Celle des premières nécessitait l’intervention d’un dispositif de levage à base de treuils et de poulies.
- Côté terrasse, on se retirait,
car le lourd plateau allait glisser sur le ciment et le vide s’établirait entre le bord et le quai d’embarquement,
il s’écoulait quelques minutes pendant lesquelles on se demandait ce qu’on pouvait bien attendre.
- Et puis, immanquablement, tout le monde sursautait,
la grosse voix de la sirène montait tout à coup vers le ciel, tandis que giclait un cône de vapeur
sous pression qui retombait parfois en fines gouttelettes sur les spectateurs.
- Comme, entre temps,
une manœuvre qu’on ne voyait pas avait consisté à arrimer un remorqueur de l’autre côté
du navire, celui-ci commençait à s’écarter du quai, d’abord de façon imperceptible, puis évidente.

- La mer formait comme un chenal
entre la coque et le quai, et c’est à ce moment que les petits nageurs arabes faisaient leur apparition, appelant
pour que les passagers leur jettent des sous qu’ils allaient rattraper en plongeant à la façon des marsouins.
- A la distance requise, le paquebot s’immobilisait,
un ultime moment au cours duquel redoublaient les appels lancés tant du bord que du quai et
les grands signes de mouchoirs. Cette fois, le bâtiment se mettait à glisser parallèlement au quai et,
de part et d’autre, certains se mettaient à marcher en sens inverse ou en avant, comme pour rester
le plus longtemps possible à la hauteur les uns des autres.
- Encore des signaux et, parfois, un dernier adieu lancé dans le vent, avant que le bateau ne se mit à obliquer
en direction de la passe. Ne pouvant tous se masser vers l’arrière, les passagers allaient disparaître aux yeux
de ceux qui étaient venus les accompagner.
C’est probablement à cet instant,
- que nous nous sentions de tout cœur avec ceux qui partaient, pensant fortement au jour où se serait notre tour …
Quelque chose au fond de nous qui ressemblait à un soupir : « Ah, la France … »
- On quittait à regret les lieux et l’on redescendait l’escalier qui tout à coup nous semblait morne.
On regagnait le Front de Mer, à quelques vingt cinq mètres au-dessus du port et on se tournait vers la mer.
- A ce moment le paquebot avait franchi la passe et se trouvait parallèle à la jetée.
On le suivait encore un moment des yeux et puis on allait se perdre dans la ville,
vers quelque petit restaurant du quartier de la Marine qui sentait fort la sardine frite.
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