La conquête de l'Algérie en 1830
La conquête 1841 - 1850 (suite).
Le récit des combats de Sidi-Brahim les 23-24-25-26 septembre 1845.
Pour la première fois un nom et une date :
- Qui flamboient dans le pli d'un drapeau, ne sont pas un nom ni une date de victoire.
- L'unique emblème des Bataillons de Chasseurs à pied.
- Pourquoi cette exception ?
- C'est que les hommes qui avaient pris part à ces combats avaient dépassé les limites de
la bravoure et de l'abnégation
Nous pourrions craindre aujourd’hui que Sidi-Brahim n’ait laissé qu’un vague souvenir dans la mémoire de nos concitoyens hexagonaux ; il n’en va pas de même pour ceux qui ont connu l’Algérie française.
- Le drame s’est déroulé au nord-ouest de Tlemcen,
- non loin de la frontière marocaine,
- proche du village de Ghazaouet,
- autour de la koubba du marabout Sidi-Brahim.
Tout avait commencé le 21 Septembre 1845 :
Depuis le début du mois, l’Emir Abd EL-KADER, du MAROC où il s’était réfugié, avait entrepris de soulever les tribus dont beaucoup, sur la frontière, s’étaient déjà reliées à nous.
Ce jour-là, le caïd TRARI, sous prétexte de nous appeler au secours, nous entraîna en réalité dans un traquenard.
Le Colonel de MONTAGNAC, commandant des troupes basées à Djemmaa Ghazaouet, n’écoutant que son envie d’en découdre, se mit à la tête d’une petite (hélas, trop petite !) colonne :
- 60 cavaliers du 2ème Hussard (Chef d’Escadron COURBY de COGNORD)
- 350 chasseurs du 8ème Chasseurs d’Orléans (Chef de Bataillon FROMENT-COSTE)
- des vivres pour seulement 6 jours .....
Ils partirent le jour même à 22 heures.
Premier bivouac à 15 kilomètres environ à l’ouest de Djemmaa Ghazaouet.
Le 22 Septembre au matin :
- le caïd TRARI orienta MONTAGNAC vers le Sud-Est.
- Deuxiéme bivouac après 8 kilomètres, vers 13 heures,
le long de la piste, en plein bled.
- Quelques cavaliers arabes sont visibles sur les crêtes qui barrent l’horizon à l’ouest.
- On échange à distance les premiers coups de feu.
Le 23 Septembre à l’aube, MONTAGNAC, plein d’allant, décide de se porter vers la petite troupe de cavaliers ennemis aperçu la veille.
Il laisse à la garde du bivouac, le Commandant FROMENT-COSTE, le Capitaine de GEREAUX et des élèments de sa compagnie (la 8ème) de Carabiniers, le Capitaine BURGARD et sa 2ème compagnie.
Puis, il se porte vers l’ouest avec :
l’escadron de Hussards :
les 3ème, 6ème, 7ème compagnies
- La 3ème escouades de la 8ème compagnie du 8ème Bataillon de Chasseurs.
Ils font environ 4000 mètres vers l’ouest... ... et c’est le drame.
Surgissant brusquement des crêtes environnantes, 5000 à 6000 cavaliers arabes, menés par Abd EL-KADER en personne, fondent sur la petite colonne.
Les Hussards chargent.
- COURBY de COGNARD est blessé.
- Nos cavaliers sont submergés et,
malgré une défense désespérée, sont bientôt anéantis.
- Les trois compagnies de Chasseurs forment le carré et font face.
- Au milieu d’elles, MONTAGNAC est tué.
- On charge par compagnie pour se dégager.
- La lutte va durer trois heures.
- Puis disloquées, dispersées, écrasées, les unités du 8ème d’Orléans
succombent sur le nombre et sont massacrées.
Averti au bivouac par le Maréchal des Logis BARBUT, du 2ème Hussards,
- le Commandant FROMENT-COSTE, auquel MONTAGNAC demande des renforts, se précipite avec la 2ème compagnie vers le combat qui se déroule à 4 kilomètres de lui.
- Il ne fait pas 2000 mètres.
- Les Arabes, qui ont vu son mouvement sur ce terrain dégagé et nu,
l’interceptent, l’entourent, l’assaillent de toute part...
- FROMENT-COSTE est tué, le Capitaine DUTERTRE, adjudant-major, est fait prisonnier...
La lutte est acharnée mais brève.
- Bientôt, il ne reste plus qu’une douzaine de chasseurs que l’Adjudant THOMAS, au moment de tomber aux mains de l’ennemi, exhorte à se battre jusqu’au bout sur les corps de leurs Officiers.
Le Capitaine de GEREAUX, qui a la responsabilité du bivouac, après un vain essai de se porter au secours de ses compagnons de la 2ème compagnie, assiste impuissant à la lute désespérée de cette unité qui se déroule à 2 kilomètres de lui.
Fort de l’expérience des deux tragiques engagements de la matinée, il réaliste qu’au moment où son tour sera venu de supporter tout le poids de l’attaque adverse, il ne pourra rien faire dans ce terrain dégagé, plat et sans obstacle, totalement inadapté à toute défensive.
A 1000 mètres de là, vers l’est,
se dresse dans la plaine le petit édifice
de la Kouba du Marabout de Sidi-Brahim,
flanquée de quelques figuiers et
entourée d’un mur de pierres sèches.
C’est là que GEREAUX décide de se porter et de s’installer pour se battre en attendant du secours.
Il rameute alors ce qui reste de sa compagnie et les 3 escouades de la 3ème compagnie, avec le Caporal LAVAYSSIERE, qui sont à la garde du troupeau et des bagages et fournissent les grands gardes :
soit environ 80 fusils.
La matinée s’achève :
- le mouvement est rapidement exécuté dans la chaleur accablante de ce début d’après-midi.
- Il n’échappe pas à Abd EL-KADER dans cette grande plaine rase, inondée de soleil, où tout se voit à grande distance.
- L’Emir pense que, parachevant sa victoire, il va facilement écraser ces quelques restes de la colonne française.
- Pour lui, ce sera l’affaire de quelques instants... ...
il va se heurter, pendant trois jours et trois nuits à la résistance
des 80 chasseurs du Marabout de Sidi-Brahim.
Dans l’après-midi du 23 Septembre, les Arabes sont en masse autour de la Kouba... et c’est le siège.
Les assauts des troupes de l’Emir se succèdent.
Les harcèlements sont permanents.
Les vivres et les munitions s’épuisent.
Sous le soleil torride, l’eau manque rapidement.
Mais les Chasseurs ne cèdent pas.
Dès le début, le Capitaine de GEREAUX
a fait confectionner un drapeau tricolore de fortune pour attirer l’attention de la troupe de la colonne de Barral qui, avec le 10ème Bataillon de Chasseurs d’Orléans, opère non loin à partir de Lalla-Marnia.
LAVAYSSIERE, aidé du Chasseur STRAPPONI, hisse le drapeau au sommet d’un figuier qui se dresse près du Marabout... et là, dans la lunette qu’il a emprunté au Capitaine de GEREAUX,
il voit la colonne Barral, attaquée à son tour, s’éloigner dans la plaine.
(On saura plus tard que le Commandant d’EXEA, du 10ème, était d’avis d’aller de l’avant).
Les Arabes vont tout tenter pour faire céder la résistance inattendue que leur opposent
les Chasseurs de Sidi-Brahim. Par trois fois ils les somment de se rendre.
- A la première sommation, GEREAUX répond que ses chasseurs et lui préfèrent mourir.
- A la seconde, assortie de menaces contre les prisonniers, il répond encore que ses chasseurs et lui sont à la garde de Dieu et attendent l’ennemi de pied ferme.
- A la troisième, GEREAUX blessé, épuisé, ne peut répondre lui-même.
LAVAYSSIERE s’en charge et ayant emprunté le crayon de capitaine, écrit :
" M... pour Abd EL-KADER !
Les Chasseurs d’Orléans se font tuer mais ne se rendent jamais ! "
Après les sommations viennent les menaces et bientôt les sévices.
C’est d’abord le Capitaine DUTERTRE, fait prisonnier le 23, qui, amené devant la murette, crie à ses camarades :
"Chasseurs, si vous ne vous rendez pas,
on va me couper la tête.
Moi, je vous dis, faites-vous tuer jusqu’au dernier plutôt que de vous rendre."
Quelques instants plus tard . . . .
suprême intimidation, sa tête tranchée est promenée par les arabes autour de Kouba, bien en vue de ses défenseurs.
Ce sont alors les prisonniers des combats précédents qui sont traînés de même, les mains liées, pour ébranler la détermination des hommes de GEREAUX.
"Couchez-vous ! ", hurle LAVAYSSIERE.
Et il fait aussitôt déclencher une fusillade sur l’escorte d’Abd EL-KADER qui se trouvait à proximité et est lui-même blessé à l’oreille.
Enfin c’est le Clairon ROLLAND, lui-même aux mains de l’ennemi, qui reçoit l’ordre, sous menace de mort, de sonner "la retraite".
Il s’avance et vient, à pleins poumons sonner "la charge".
Les jours passent, la résistance ne faiblit pas.
A plusieurs reprises, l'ennemi lassé, demande une trêve pour enlever
ses morts et ses blessés sous le mur du Marabout
Mais les secours n’arrivent pas,
GEREAUX, de plus en plus affaibli mais qui a gardé la tête froide et le commandement, se rend compte que la situation où il est ne peut plus durer.
Il décide alors qu’il faut percer et essayer de regagner Djemmaa Ghazaouet, à près de 15 kilomètres.
Le Caporal LAVAYSSIERE qui, depuis le début, s’est révélé un homme d’action exceptionnel, prendra le commandement du détachement.
Les Officiers, GEREAUX, CHAPPEDELEINE, ROZAGUTTI, tous blessés,
Ils ne sont plus en état d’assurer cette mission.
Le 26 Septembre, à l’aube :
- on escalade la face nord de la Kouba,
- Groupés en carré autour de leur drapeau de fortune,
les trente survivants tous blessés bousculent les petits postes arabes complètement
surpris et s'élancent vers l'oued El-Mara.
- L’épreuve va durer toute la journée...
On connaît la suite et l’issue douloureuse de cette marche héroïque et épuisante qui va connaître un dénouement tragique dans le lit de l’oued El-Mara, à 2 kilomètres de Djemmaa Ghazaouet.
- Mourant de soif, ils s'y arrêtent un moment pour boire.
- Environnés aussitôt par une nuée d'ennemis, les restes de la compagnie de GEREAUX sont alors massacrés sur les bord de l'oued.
- Seuls :
le Caporal LAVAYSSIERE, avec son arme,
et onze Chasseurs réussiront à atteindre Djemma Ghazaouet.
cinq meurent d'épuisement dans les heures qui suivent.
Epilogue :
- Dès le début, le nom de Sidi-Brahim connut un retentissement extraordinaire.
- Ce qui frappa, ce fut la volonté collective, la cohésion de cette troupe, l’accord intime et la communauté de réaction des cadres et des chasseurs dans leur farouche résistance à la faim, à la soif, à la chaleur, aux menaces, témoignant d’un état d’esprit bientôt connu comme "l’Esprit Chasseur".
- Ce fut aussi l’extraordinaire autorité d’un simple Caporal, bel exemple pour ses successeurs, dénotant la qualité d’une instruction et d’une formation morale : "le style chasseur".
- C'est la colonne Lamoricière qui recueillit les restes des ossements des héros de Sidi-Brahim qui furent ensevelis dans le vieux cimetière de Djemmaa Ghazaouet (Nemours) dans le "Tombeau des Braves".
- l'année 1962 aprés l'indépendance de l'Algérie vit la profanation de la sépulture et l'éparpillement des dépouilles. Ils furent ramenés en France en 1963.
- Ils ont été déposés dans le Musée des Chasseurs au Vieux Fort de Vincennes en 1965.
Retour sommaire conquête de l'Algérie