La conquête 1841 - 1850 (suite).
La Reddition de l'émir Abd el-Kader le 23 décembre 1847
Dans les premiers mois de l'année 1847, le maréchal Bugeaud jugeant qu'il n'avait pas les moyen de poursuivre sa politique en Algérie donna sa démission.
- On lui avait retiré le droit d'accorder des concessions en territoire civil.
- Un crédit de 3 millions qu'il avait demandé pour la colonisation militaire lui fut refusé.
- Il déclara qu'il considérait sa mission comme terminée.
Le 5 juin 1847, le maréchal Bugeaud s'embarqua pour ne plus revenir.
Le prince de Joinville écrivit :
-
« Nous lui rendîmes, les honneurs vice-royaux et je vois encore sa tête blanche et
énergique, lorsque, debout et découvert sur la passerelle du bâtiment qui l'emportait,
il traversa lentement les lignes des vaisseaux au bruit du canon, des tambours, des musiques
jouant la Marseillaise et des acclamations des équipages.
Il quittait avec tristesse cette terre d'Algérie qu'il avait tant contribué à faire française. »
-
Nommé gouverneur général par ordonnance du 11 septembre 1847, le duc d'Aumale vint prendre possession de son poste le 5 octobre. il avait été désigné par le maréchal lui-même comme le plus capable de lui succéder.
Le Duc d' Aumale.
- Cette nomination fut acclamée à la fois par l'armée et par la population civile, comme
une promesse de bonheur et de prospérité.
- Le Roi, en confiant à l'un de ses fils le gouvernement de l'Algérie,
témoignait à la colonie sa sollicitude et sa résolution
de la développer.
- Le Prince, qui connaissait à fond l'Algérie, y avait révélé des talents de premier ordre,
comme administrateur et comme homme de guerre.
- Son arrivée allait fournir une heureuse transition pour
ôter au gouvernement de l'Algérie ce qu'il avait de
trop exclusivement militaire, tout en maintenant sur
l'armée une autorité incontestée.
- L'illustration de sa naissance, son titre de fils du Roi devaient consolider
cette domination, en la rehaussant aux yeux des indigènes.
- Enfin la présence à Alger d'un prince possesseur d'une fortune immense
plongeait le commerce dans le ravissement.
Sans vouloir bouleverser de fond en comble le système
suivi jusqu'alors, le Prince ;
- libre de tout engagement,
- ayant ses vues personnelles,
- un programme longuement médité,
- n'entendait pas se rendre absolument solidaire
des actes de son prédécesseur.
- Il le prouva en ramenant avec lui, comme chef d'etat-major général et
commandant de la province d'Alger, le général Changarnier.
Par une suprême faveur de la fortune, coïncidant presque avec cette nomination,
l'Emir Abd-el-Kader, l'insaisissable Émir, tombait dans nos mains.
Chassé de la Kabylie d'abord, puis du Sahara algérien, rejeté enfin dans le Maroc,
il termina sa carrière de combattant par un rêve grandiose :
- Il avait pensé créer un État indépendant dans le Maroc oriental,
- reconstituer la nationalité arabe,
- nous jeter à la mer.
Un des chefs de l'émir Abd-el-Kader
Mais bientôt, inquiet de ses intrigues, au milieu des populations
montagnardes du Riff, presque toujours en révolte
contre le pouvoir central, le sultan du Maroc, Moulay-Abd-er-Rahman envoya
contre lui une mehalla commandait par son fils Sidi-Mohammed, le vaincu d'Isly.
Pour soutenir la lutte, Abd-el-Kader n'avait plus
que six cents cavaliers, très aguerris, très intrépides et
d'un dévouement absolu; à peu près autant de fantassins, mais moins bons.
Dans la deïra, qui comptait à peu près six cents tentes, soit trois mille personnes environ, tous les hommes étaient armés, même les noirs, et prêts à défendre leurs familles, au milieu desquelles se trouvaient la femme et les enfants d'Abd-el-Kader.
Abd-el-Kader attaqua la mehalla de nuit près de Selouen et lui fit éprouver de grosses pertes, mais il fut néanmoins obligé de reculer.
C'est à cette époque qu'Abd-el-Kader, embarrassé des prisonniers qu'il avait faits à Sidi-Brahim et
à Aïn-Temouchen,
ternit sa gloire en faisant décapiter les soldats, pendant qu'il vendait la vie des officiers.
Abd-el-Kader se trouvait, acculé sur la rive gauche de la Malouïa, non loin de la mer,
entre vingt mille cavaliers marocains, munis d'artillerie,
et toutes les troupes disponibles de la province d'Oran,
que le général de Lamoricière, abandonnant pour quelques jours
son nouveau poste de député, avait massées sur la frontière, afin
de la garantir contre les coups de tête des Marocains.
Paysages du Riff.
Il se jeta, de nuit, sur l'un des camps marocains et l'enleva.
Mais, au matin, accablé par les masses de ses
adversaires, il dut céder le terrain et sacrifier la moitié de ses réguliers,
pour faire franchir la Malouïa à sa deïra et la mettre en sûreté sur notre territoire.
Il sortit du Maroc le dernier :
- les vêtements criblés de balles,
- après avoir eu trois chevaux tués sous lui.
- Peut-être aurait-il pu parvenir à s'échapper encore, du côté du Sud.
Mais il ne voulut pas abandonner les familles des guerriers qui étaient
morts pour lui.
A la nuit, ses éclaireurs se heurtèrent aux spahis.
C'était la fin.
- Abd-el-Kader se soumit à son destin.
- Il fit appeler l'officier qui commandait le détachement.
C'était un lieutenant indigène, nommé Ahmed-ben-Bokouïa.
- il lui donna, en signe d'accommodement, son cachet à porter au général de Lamoricière.
- Le général, immédiatement, détacha son sabre et le fit porter à l'Émir,
en signe de paix.
Au matin, une convention était signée, d'après laquelle l'Émir,
sa famille et ses serviteurs principaux devaient être transférés à la Mecque,
ou à Saint-Jean d'Acre.
Le général de Lamoricière
Le général de Lamoricière, qui voulait présider l'internement de la deïra, s'était porté, avec son infanterie, vers le Kis, où se trouvait cette deïra, et avait laissé sa cavalerie sur le plateau de Sidi-Brahim.
Abd-el-Kader, cherchant le général de Lamoricière,
« le seul, disait-il, à qui il voulût faire son sacrifice »,
arriva sur ce lieu, théâtre d'un drame tragique, qui lui rappelait tant de souvenirs.
- Les murs du marabout étaient toujours là,
- tachés du sang des nôtres.
- Les os des héros morts blanchissaient autour d'eux,
- mais peut-être que sur ce théâtre de mort,
devenu théâtre de victoire,
planait l'âme de cet admirable Dutertre
qui avait dit, avant de mourir :
« Chasseurs, on va me décapiter ...... »
En l'absence du général, le colonel de Montauban reçut l'Emir, qui passa sur le front des escadrons.
Escorté de quelques chasseurs d'Afrique, il arriva
le soir à Nemours, où sa famille l'attendait.
Le général de Lamoricière arrivait en même temps que lui.
Dans cette même matinée, l'artillerie de Nemours saluait le gouverneur général, le duc d'Aumale, qui débarquait, appelé par les dépêches répétées du général de Lamoricière.
le yatagan de l'Émir Abd-el-Kader.
A peine rentré, le général de Lamoricière alla rendre visite à l'Émir, qui lui fit présent de son yatagan.
Alors, enfin, une détente se produisit dans cette âme de fer, et pendant toute la nuit on entendit l'Émir Abd-el-Kader sangloter.
Au matin, les yeux secs, il monta sa dernière jument, blessée
comme lui, et s'avanca, suivi de quelques serviteurs, vers le logis du duc d'Aumale.
Avant d'y arriver, il mit pied à terre et marcha, conduisant sa monture
par la bride, comme faisaient les Arabes qui venaient se sournettre.
Dans l'après-midi, le même navire emmena à Oran :
- le duc d'Aumale,
- le général de Lamoricière
- l'Émir Abd-el-Kader.
Ils arrivèrent, pendant la nuit, à Mers-el-Kébir, où le colonel de Martimprey, fut mis à la disposition de l'Emir, qui retrouva en lui un des assistants de sa fameuse entrevue avec Bugeaud, à Fid-el-Atach, lors de la paix de la Tafna, qui avait marqué le point culminant de sa carrière.