Le 13 Mai 1958 (suite)

Cependant,   le commandant supérieur s'est enfermé avec Chaussade,   secrétaire général du ministère et Maisonneuve.
Chaussade est un fonctionnaire modèle,   mais qui n'a rien du tribun capable de faire front à la foule.   Il est impuissant, débordé.   Il estime que ce sont les militaires qui doivent prendre la situation en main.

D'accord avec Maisonneuve,   directeur du cabinet de Lacoste,   il appelle au téléphone le président du Conseil encore pour quelques heures en exercice et lui expose la situation.

Félix Gaillard autorise Maisonneuve, au nom de son ministre, à déléguer ses pouvoirs civils au général Salan.

Mais quelques minutes plus tard, Chaussade et Maisonneuve rappellent l'hôtel Matignon.   Ils sont embarrassés.    Le commandant supérieur ne peut affronter la foule.   Ils téléphonent à nouveau au président du Conseil pour savoir si le général Salan peut subdéléguer ses pouvoirs à Massu pour que celui-ci puisse directement prendre ses responsabilités.

  Gaillard répond affirmativement.

Cependant, Massu est aux prises, dans le bureau, avec un groupe de manifestants dont un géant roux, un grand garçon à lunettes d'écaille, un petit bonhomme à moustaches en liséré, et Lagaillarde.
Le garçon à lunettes:
  -   Mon général, vous êtes à un tournant. Décidez-vous !
Massu :
  -   Qu'est ce que vous voulez que je fasse?
  -   Quelqu'un a-t-il une idée?
  -   Il faut que ces gens rentrent chez eux!

Lagaillarde :
  -   Non! Non! Ils ne rentreront pas.    Ils resteront ici jusqu'à l'investiture !
Massu :
  -    Mais enfin, qu'est-ce que vous voulez?
Le garçon à lunettes:
   -    Ou c'est la création d'un comité de Salut Public en attendant la création d'un gouvernement
   -    de Salut Public, ou c'est l'émeute qui continue...

Massu cherche le général Salan pour lui exposer le projet.
Le commandant en chef hésite devant cette menace de soviet.
  - Qui peut-on mettre dans votre Comité ?    lâche Massu en retournant vers le groupe des manifestants.
Le géant roux:   des civils et des militaires.

Massu s'installe avec les manifestants, tant bien que mal, sur les accoudoirs des fauteuils, sous la tapisserie de Lurçat.
Fait étrange, dans Alger qui, abstraction faite des musulmans, n'est pas une très grande ville et où tout le monde se connaît, ni les journalistes locaux ni les envoyés spéciaux métropolitains ne sont capables de mettre des noms sur les visages de ces hommes qui vont former le Comité de Salut Public.
Seul, Lagaillarde leur est familier.
Pour l'instant, c'est le grand jeune homme à lunettes qui parle avec le plus d'autorité.
Le colonel Godard finit par s'approcher de lui et par lui demander son nom.
  -    André Baudier ! répond-il.
Cela ne dit rien à personne.
Alain de Sérigny, dans son livre, La Révolution du 13 mai, raconte que quelqu'un lui demanda alors:
  -    Mais qui représentez-vous ?
  -    La foule !



Le Comité de Salut public et militaire d' Alger.

Au centre Massu,
A droite :
Leon Delbecque représentant officieux de Jacques Chaban-Delmas (gaulliste).
A gauche :
Le directeur de l'Echo d' Alger Alain de Savigny et Le Colonel Thomazo.




Le général Massu s'assoit à une table,écrit son nom en tête d'une feuille de papier et enregistre les premiers noms qu'on lui donne, ceux des manifestants qui sont là, autour de lui.

A 20 h. 45, le général Massu apparait au balcon, encadré par les sept membres du Comité.
Il n'y a pas de micro et la portée de la voix humaine ne dépasse guère les grilles de la cour:
  -   Je vous annonce qu'un Comité de Salut Public vient d'être créé sous la présidence de moi,
  -   général Massu !


Une formidable ovation retentit, tout de suite suivie de la Marseillaise!.
Pas un gaulliste dans ce Comité. La révolution s'est faite sans eux. Pas un membre non plus du Comité d'Entente des Anciens Combattants qui de février 1946 à mars 1948 a représenté l'Algérie Française. Ils délibèrent ailleurs avec Delbecque.

Rentrant avec une bouffée d'acclamations, Massu se tourne vers les membres du Comité dont il vient de faire des personnages historiques, et leur dit :
  -   Maintenant, faites rentrer ces gens chez eux !
  -   Non! Non! Non!
  répond Lagaillarde.
  -   Ils vont rester calmes, on vous le promet.
  -   Mais ils attendront toute la nuit l'investiture !

Cependant, on est déjà en train d'ajouter des noms à la liste du Comité.
On l'étoffe aussi en personnalités militaires.
  -   Vous en êtes, Trinquier ?
  -   Vous, naturellement, Ducasse !
  -   Et il n'y a qu'à mettre Thomazo !
  dit Massu.

Trois colonels.   Ce choix, marqué par la hâte, ne fait appel qu'à des officiers à portée de la main.
Il aura par la suite un retentissement politique considérable. Il fera pousser les hauts cris en métropole.
Ducasse est son adjoint direct.
Ce n'est pas sans calcul que Massu désigne Thomazo et Trinquier. Il s'agit dans l'immédiat de calmer la foule et il pense qu'ils seront bien accueillis par elle.

Cependant, à 20 h. 50, le général Salan téléphone au général Ely,   à Paris.
  -   Prévenez le président Gaillard;
  -   La population demande à tout prix la formation d'un gouvernement de Salut Public !
  -   Faire évacuer?
-  ajoute-t-il en réponse à une question.
  -   Mais c'est nous qui allons nous faire évacuer!

On continue de façon sporadique à saccager les ailes du Gouvernement Général.
Il y a déjà pour 50 millions de dégâts.

Massu fait venir deux compagnies de paras.
Les uns prennent place au coude à coude sur le péristyle, bloquant l'entrée pendant que d'autres, abordant l'immeuble par les étages supérieurs, font progressivement évacuer les couloirs.

Pendant ce temps, le Comité entame la rédaction d'un télégramme au président de la République.

  -   Lacoste vous demande au téléphone, mon général !
Massu se déplace vers l'appareil, suivi de tous les membres du Comîté.
On l'entend répondre:
  -   Oui, c'est exact, nous avons constitué un Comité... Il ne s'agit pas de coup d'Etat...
  -   C'est pour affirmer devant le Parlement la volonté de l'Algérie de rester Française...

  -   Je ne pouvais pas faire autrement.
  -   Ou ,alors il fallait tirer sur la foule.


Donnez-vous l'ordre de tirer ?
  -   Non !   Alors, il ne me reste qu'à essayer de lui parler !


Un moment s'écoule où Massu écoute.
On a su par la suite que Lacoste disait:
  -   Je comprends que vous essayiez de canaliser la manifestation.
  -   Mais il serait très grave que vous participiez à un organisme révolutionnaire.


Massu est déjà sur le balcon en train de lire le télégramme au président de la République:
  -   Vous rendons compte de la création d'un Comité de Salut Public civil et militaire à Alger, présidé par le général Massu, en raison de la gravité de la situation et de la nécessité absolue de maintenir l'ordre et ce, pour éviter toute effusion de sang.
Ce Comité attend avec vigilance la création d'un gouvernement de Salut Public, seul capable de conserver l'Algérie, partie intégrante de la métropole.


On remarquera que rien, dans les termes de ce texte, n'indique ni une volonté de sécession, ni un refus d'obéissance aux autorités constituées. On peut tout au plus noter comme insolite la présence de militaires d'active dans un Comité évidemment politique.

Massu fait suivre la lecture de son texte d'un appel au calme.
Mais Lagaillarde et Martel, qui lui succèdent au balcon, appellent leurs partisans à demeurer en place.
Ils ne veulent pas être évincés. Il faut maintenir une pression sur les militaires. Les éléments de choc, dument avertis, s'installent autour du G.G.

La nuit commence à descendre sur le Forum.


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